(article publié dans le Bulletin des Amis de l'Alto n°9 en avril 1984)
La terre est ronde, on le savait; Moscou est à 2h1/2 de Paris quand Air France vole à la « finesse maximum » mais la courbure de la planète est cependant suffisante pour qu’un monde bascule.
Que le mot luthier n’ait pas sa traduction en russe passe encore, mais que l’alto n’ait pas ses amis associés, quelle horreur !
Des amis, pourtant, nous en avons rencontrés; quand Madame Borrisovski, veuve du fondateur de l’école russe d’alto évoqua le quatuor Beethoven…l’original....Chostakovitch calé sur le tabouret près de la fenêtre, Tchékov passa…..
Rencontre amicale, encore, quand le professeur Tolpygo, dérangé pendant un cours au Conservatoire, arrête tout, envoie quérir sa femme pianiste et nous joue la Sonate de Glinka, juste pour faire connaissance. Amitié toujours quand Gasparo da Salo, exilé dans un étui sous la forme de l’alto de Barshaï nous a souri, nous rappelant ainsi le but de notre présence incongrue sous les combles du Conservatoire Tchaïkovsky. Stradivari, Amati, Vuillaume, Guarneri ont pris l’air ce jour-là, admirés sous une lumière jaunâtre de pensionnat déficitaire…..
....On devrait toujours avoir des oranges avec soi ! (les tatouages en forme de faucille et de marteau à l’éclisse
du bas sur certains instruments ne sont que pure coïncidence avec tout régime égoïste centralisateur existant encore).
Quoique luthiers, nous sommes allés au concert !! pour le caviar que l’on y engloutit pour un rouble à l’entracte bien sûr, mais moyennant 5 francs la place seulement pour un programme varié, interprété avec talent et générosité.
La lutherie semble occuper là-bas quelques fonctionnaires disposant d’un seul colorant synthétique, dont la concentration plus ou moins forte permet de faire des raccords de vernis sur une réparation commencée sous Kroutchev; le reste est affaire de travail du soir à la maison et de roubles-or.
Leningrad était une glace à trois parfums : pistache, Venise et bleu d’ailleurs; à propos d’ailleurs il y a un luthier Saint-Petersbourgeois dont les altos ne semblent pas venir de là, sonores et gais comme Polichinelle dont ils portent la bosse.
Le retour d’U.R.S.S laisse perplexe, avec beaucoup de questions sans réponse et l’on se sent « floué » de n’avoir pas pu serrer plus de mains de confrères luthiers, inaccessibles par trop d’attente et de mauvaise grâce d’Intourist.
J’en profite pour faire savoir au type qui ne nous a pas lâchés d’une semelle à travers les rues de Moscou que nous sommes bien arrivés à Paris… Merci d’avoir veillé sur nous !
Pour finir, une recommandation : le verres de vodka se boit d’un trait, en toute occasion, en grand nombre et avec arrière-pensée; âme slave garantie et vibrato assorti.
N.B. : la bouteille n’est pas consignée.